samedi 28 novembre 2015

Goethe et Diderot par Jules Barbey d'Aurévilly (1880). Edition originale. Exemplaire de dédicace offert au jeune homme de lettres Octave Uzanne (1851-1931). Exemplaire à relier.


J. BARBEY D'AUREVILLY

GOETHE ET DIDEROT.

Paris, E. Dentu, 1880 [Imprimerie générale de Châtillon-sur-Seine J. Robert]

1 volume in-18 (18,5 x 12 cm), broché, XXII-290 pages. Exemplaire à relier, couverture et premiers feuillets détachés. Rousseurs, parfois fortes. Exemplaire en grande partie non coupé.

ÉDITION ORIGINALE.

EXEMPLAIRE DE DÉDICACE OFFERT A SON JEUNE AMI OCTAVE UZANNE (1851-1931).

Envoi autographe de J. Barbey d'Aurévilly sur le faux-titre : "à mon ami Octave Uzanne" (voir photo).

"Le nouveau livre de M. J. Barbey d'Aurevilly porte en épigraphe ce simple mot : Iconoclaste. Et je ne sais pas, en effet, de plus rude briseur d'images, de plus vaillant renverseur d'idoles que ce Polyeucte de la critique catholique. Tout homme garde au fond du coeur un vieux tison de révolte et de diabolique athéisme, et M. d'Aurevilly, comme les autres, ce croyant ! Mais, l'ayant étouffé en matière religieuse, il le rallume d'autant plus furieusement en matière littéraire. C'est aux fétiches du Panthéon moderne qu'il est athée et qu'il pousse la torche au visage pour les regarder et pour les rôtir. Ne lui demandez pas de ployer le genou devant nos manitous les plus vénérés ! S'il le faisait jamais, ce ne serait que comme un maître d'armes qui ploie le jarret pour donner plus de détente à son coup d'estoc. Aujourd'hui, c'est contre le dieu Goethe et le demi-dieu Diderot qu'il tombe en garde. Un superbe assaut, palsambleu ! De Goethe, il ne laisse rien debout, ou peu s'en faut. En quelques rapides une-deux, le théâtre est d'abord percé de part en part. Boutonné, le Faust ! Boutonné et déboutonné. Et les boutons défaits, le dedans est montré vide. Flambergé, Goetz de Berlichingen, dont tous les personnages agissent "comme s'ils étaient montés sur roulettes". Passés au fil de l'analyse, un fil tranchant, les drames et les tragédies et les comédies ! Théâtre fait de pièces et de morceaux par un "Trublet colossal" et mis en morceaux par un railleur aussi acéré en son genre que celui qui a saigné à blanc le vrai Trublet. De Goethe dramaturge il ne reste que sa Marguerite "l'Allemagne" laquelle s'appelle de toutes sortes de noms, mais est solitaire dans le sérail de "ce pauvre sultan intellectuel". Et après le théâtre, la poésie, et la philosophie, et le roman, et l'art, et les voyages, et la science, et tout Goethe enfin, sous ses aspects divers, est pris, retourné, vidé et trouvé creux. M. d'Aurevilly parle quelque part d'un souvenir d'amour emporté d'Italie par Goethe, "parmi les plâtres achetés comme un plâtre de plus", et il ajoute : "Ah ! plâtre toi-même, je te casserai !..." Et il le fait comme il le dit. Somme toute, le grand pontife de l'impossibilité se résume en ces trois mots : "Mesquinerie, égoïsme, bourgeoisisme." Et tout cela péremptoirement, avec des raisons que je ne puis abréger ici et qu'il faut lire. C'est vraiment un chef d'oeuvre d'iconoclastie. J'avoue que j'ai pris plaisir à cette démolition d'un temple dont je n'ai jamais non plus été le dévot. J'ai dit aussi à l'occasion, mais d'une voix trop jeune, l'ennui que m'a toujours causé ce grand ennuyeux de Goethe. Mais il y a jouissance à l'entendre dire et crier par le pavillon de cette trompette d'or, qui sonne comme celles de Jéricho. Les oreilles, par exemple, m'ont un peu tinté quand la fanfare s'est tournée vers Diderot. Ici, je ne suis plus tout à fait d'accord avec M. d'Aurevilly. Certes, le Diderot a été surfait par notre temps matérialiste, qui voit en lui un de ses aïeux. J'abandonne volontiers toute sa grosse besogne d'encyclopédiste, et ses romans aussi, et son théâtre surtout, contre lequel ce cuistre de La Harpe a eu un jour un mot spirirtuel : "C'est du La Chaussée moins la versification et le mélange de comique." Je vais même plus loin que l'iconoclaste, qui donne un coup de chapeau aux Salons. J'en trouve le style magistral, mais l'inspiration antiartistique. Diderot, par une inconséquence que loue M. d'Aurevilly, est idéaliste en sa critique d'art, et par là horripile quiconque entend la peinture picturalement. Mais passons ! Ce que je reproche surtout au briseur d'idoles, c'est de ne pas s'être arrêté, ne fût-ce que pour les jeter cul par-dessus tête devant le Neveu de Rameau. Il l'exécute d'une pichenette. Cela ne suffit pas. Pendant qu'il était en train d'athéisme à la religion moderne, je veux dire au matérialisme, voilà où il devait polyeucter le plus. Le Neveu de Rameau, c'est une des Bibles morales, ou immorales, mettons amorales (a privatif) de la philosophie du néant. Et par cela Diderot est grand sans conteste. En mal, soit ! Mais Satan aussi. On ne rive pas le clou du diable avec une épigramme en passant. Pour le coup, il faut reconnaître, l'adversaire n'a pas à crier "Touché !" La botte est à recommencer. Mais M. d'Aurevilly la recommencera s'il le faut. Je ne suis pas en peine de lui. Il a toujours la plume en garde et ne demande qu'à plastronner avec les plus forts. Aussi ne lui gradé-je pas rancune du coup indiqué seulement, et non poussé à fond, sur le Diderot. Je m'en console en contemplant le Goethe, "cette gélatine figée" où vibre l'épée plantée en plein." in Le Livre, Jean Richepin (pp. 359-360)

Jules Barbey d'Aurevilly a 72 ans lorsqu'il publie cet ouvrage de critique polémique. Il écrit à Miss Elysabeth, de Paris, le 17 août 1880 : "Ce n'est donc pas cela qui me retient à Paris. C'est le Goethe et Diderot que Dentu doit faire paraître au mois de septembre (...)." (Lettres intimes, éd. 1921). Barbey connaissait Uzanne de quelques années auparavant. Il avait notamment préfacé le Bric-à-Brac de l'amour du jeune Uzanne qui avait paru chez Ed. Rouveye le 5 décembre 1878. Barbey offre ici en témoignage de son amitié un exemplaire de ce livre à Uzanne. Sans doute pour en rendre compte dans la revue Le Livre nouvellement fondée au début de 1880. Quoi qu'il en soit, l'exemplaire offert, est resté broché et même non coupé, c'est à dire que Octave Uzanne n'a pas lu ce texte de Barbey dans cet exemplaire. C'est un exemplaire sur papier courant, il n'est pas fait mention de grands papiers.

BELLE SIGNATURE AUTOGRAPHE DU CONNÉTABLE DES LETTRES.

VENDU