lundi 20 juin 2016

Bibliophilie Féminisme : Le Triomphe des Dames attribué à Madeleine de Puisieux (1751) ou Dissertation dans laquelle on prouve que la femme n'est pas inférieure à l'homme. Très intéressant traité pré-féministe à l'époque des Lumières.




[PUISIEUX, Madeleine de]

LE TRIOMPHE DES DAMES. Traduit de l'anglais de Miledi P ****.

A Londres, 1751

1 volume petit in-8 (15 x 9,8 cm) de 140 pages, y compris la page de titre entièrement gravée à l'eau-forte.

Reliure de l'époque plein veau fauve marbré, dos lisse orné, pièce de titre de maroquin rouge, tranches rouges. Très bon état. Quelques légères salissures. Coins et coiffes légèrement frottés. Infime manque à la coiffe de tête. Exemplaire court de marges, sans atteinte au texte néanmoins.



NOUVELLE ÉDITION.

PREMIÈRE ÉDITION SOUS CE TITRE.

Cet ouvrage a paru pour la première fois en 1749 sous le titre : Dissertation dans laquelle on prouve que la femme n'est pas inférieure à l'homme puis en 1750 sous le titre : La femme n'est pas inférieure à l'homme. La genèse de ce texte féministe est incertaine. Il aurait été écrit par Madeleine de Puisieux (ou son mari, Philippe-Florent de Puisieux d'après certains, pourtant l'auteur semble bien être une femme) d'après le texte de l'ouvrage anglais paru précédemment sous le titre : Woman Not Inferior to Man: or, a short and modest Vindication of the natural Right of the Fair-Sex to a perfect Equality of Power, Dignity, and Esteem, with the Men. Ce dernier texte ayant été attribué à Mary Wortley Montagu. Quoi qu'il en soit, certains chercheurs modernes font remonter l'origine de ce texte à François Poullain de La Barre et son ouvrage De l'égalité des deux sexes, publié en 1673. On a fait remarqué que cet ouvrage posait des questions similaires à celles que pose Christine de Pisan en 1405, dans La Cité des dames. (Michel Fingerhut, 2010, édition numérique de De l'égalité des deux sexes). Ce traité est considéré comme un prélude à l'ouvrage de Mary Wollstonecraft, A Vindication of the Rights of Woman publié en 1792.

Voici les chapitres traités dans cet ouvrage progressiste : Quel cas les hommes font des femmes, et si c'est avec justice. - Si les femmes sont inférieures aux hommes ou non, du côté de l'entendement. - Si les hommes sont plus propres que les femmes pour gouverner. - Si les femmes sont propres à remplir les charges publiques. - Si les femmes sont naturellement capables d'enseigner les sciences, ou non. - Si les femmes sont naturellement propres aux emplois militaires, ou non.

Madeleine de Puisieux (1720-1798) était une femme de lettres, moraliste et féministe. On lui doit notamment des Caractères (Londres, 1750) et des Conseils à une amie (1751). Son oeuvre reste à ce jour mal connue.



Nous pensons qu'il est utile et agréable de profiter de cette notice pour donner in extenso la conclusion exemplaire de cet ouvrage :

"Dans tout ce que j'ai dit jusqu'à présent, je n'ai pas eu intention d'engager personne de mon sexe à se révolter contre les hommes, ni à changer l'ordre présent des choses par rapport au gouvernement et à l'autorité. Non, que les choses restent dans l'état où elles sont : je prétends seulement faire voir que mon sexe n'est pas aussi méprisable que les hommes voudraient le faire croire ; et que nous sommes capables d'autant de grandeur d'âme que les meilleurs sujets de ce sexe orgueilleux. Et je suis bien convaincue même qu'il serait avantageux pour les deux sexes de penser ainsi. Cette vérité se prouve par les mauvaises suites qui résultent de l'erreur contraire. En nous croyant incapables de perfectionner notre entendement, les hommes nous ont entièrement privées de tous les avantages de l'éducation, et par ce moyen ont contribué autant qu'il était en eux à nous rendre des créatures dénuées de sens, telles qu'ils s'étaient figuré que nous étions ; ainsi faute d'éducation, nous nous sommes livrées à toutes les extravagances que l'on méprise en nous ; nous avons attiré sur nous leurs mauvais traitements, par des fautes dont ils sont eux-mêmes les auteurs, et qu'ils nous ont ôté les moyens d'éviter. Quelle est la suite de ce traitement tyrannique qu'ils nous font éprouver ? Il retombe à la fin sur eux- mêmes. Le défaut de savoir et d'éducation qui entraîne les femmes à des actions que désapprouvent les hommes, les prive des vertus qui pourraient les soutenir contre les mauvais traitements que les hommes leur font souffrir à cause de leurs imprudences ; et faute de ces vertus, elles imaginent des moyens très condamnables pour se venger de leurs tyrans. D'où il arrive qu'en général les hommes et les femmes ont les uns pour les autres un souverain mépris, et qu'ils combattent à l'envi à qui se traitera le plus mal ; au lieu qu'ils devraient vivre heureux, si les deux sexes pouvaient se résoudre à prendre l'un pour l'autre les sentiments d'estime qu'ils se doivent réciproquement. Cependant s'il faut parler vrai, il est incontestable que le blâme retombe principalement et originairement sur les hommes ; car si l'on voulait seulement accorder aux femmes les avantages de l'éducation et du savoir , elles apprendraient à mépriser ces folies et ces bagatelles qui leur attirent à présent un injuste mépris : Elles seraient en état de donner aux hommes une meilleure opinion de la capacité de leur tête et de la disposition de leur cœur, et les hommes diminueraient & reformeraient par degrés leurs mauvais procédés à proportion de l'estime que nous leur inspirerions. Les femmes se feraient un point d'honneur de perfectionner leurs talents, et elles deviendraient meilleures en acquérant des connaissances. Elles s'occuperaient avec plaisir à entretenir les hommes sensément, et à ajouter la solidité a leurs charmes. Par ce moyen les deux Sexes vivraient heureux, et n'auraient aucun sujet de se blâmer les uns les autres ; mais tant que les hommes nous fermeront toute entrée aux Sciences , ils ne pourront sans faire retomber sur eux tout le blâme, nous reprocher les fautes de conduite que l'ignorance nous fait commettre, et nous taxerons toujours d'injustice et de cruauté les mépris et les mauvais procédés qu'ils ont avec nous pour des fautes qu'il n'était pas en notre pouvoir de rectifier. Il ne serait pas nécessaire d'en dire davantage sur ce sujet, si ce n'était pour répondre à certaines gens faibles, qui se persuadent mal-à-propos qu'il y a par rapport à la vertu des différences réelles entre nous et les hommes ; cependant rien n'est plus absurde, car il est incontestablement vrai qu'il y a eu, et qu'il y a encore beaucoup de bons et de mauvais sujets dans les deux Sexes ; et quand on supposerait que quelques femmes ont porté la scélératesse plus loin que les hommes, cela ne pourrait point déshonorer le Sexe en général. Les bons qui se gâtent deviennent toujours les plus méchants : et quand nous reconnaîtrions que quelques-unes de notre Sexe l'ont emporté sur les hommes par la qualité des vices, il faudrait nécessairement qu'on avouât que ceux-ci l'emportent pour le nombre. Je crois que personne ne contestera que parmi les méchants, il y a au moins mille hommes contre une femme, à estimer les choses sur le pied le plus favorable pour les hommes. Mais pour savoir si les uns sont naturellement plus vicieux que les autres, il faut remarquer qu'il n'y à que l’âme qui soit susceptible de vertu, et que la vertu consiste dans une résolution ferme de faire ce qu'on juge le plus conforme aux règles de la raison dans les différentes circonstances qui se rencontrent dans la vie. Or, l’âme des femmes n'est pas moins susceptible que celle des hommes de cette résolution ferme qui constitue la vertu, et elles savent aussi bien qu'eux les occasions de la mettre en pratique. Quelque faibles qu'on suppose les femmes en général, nous savons régler nos passions aussi bien que les hommes, et ne sommes pas plus enclines au vice qu'eux. Nous pouvons même faire pencher en ceci la balance en notre faveur, sans blesser la justice et la vérité ; cependant après tout, supposé même qu'il y eût lieu de trouver les deux Sexes également en faute ; celui qui accuse les autres pêche contre l'équité naturelle. S'il y a plus de mal à reprendre dans les hommes qu'en nous, et qu'ils soient trop aveuglés pour l’apercevoir, ils sont coupables de témérité de trouver à redire dans notre Sexe : et s'ils aperçoivent nos fautes, et qu'ils cachent malicieusement les leurs, qui sont les plus considérables ; n'est-ce pas une bassesse à eux de nous en faire un crime, à nous qui en avons moins ? S'il y a plus de bien dans les femmes que dans les hommes, ne doit-on pas taxer les hommes d'ignorance ou de jalousie, pour ne vouloir pas en convenir ? Quand une femme à plus de vertus que de vices, les unes ne doivent-elles pas faire disparaître les autres ? cela est d'autant plus vrai, quand nos défauts sont insurmontables, et qu'on nous refuse les moyens de nous corriger. Voilà précisément le cas de presque toutes les fautes de notre Sexe, et elles méritent plus de compassion que de mépris. Enfin, si nos fautes ne sont telles qu'en apparence, ou qu'au moins elles soient par elles-mêmes très-légères, on ne peut s'y arrêter tant sans beaucoup d'imprudence et de méchanceté. Or il est très-facile de prouver que ce sont là la plus grande partie des fautes qu'on nous reproche, et qui sont communes à tout notre sexe, de manière ou d'autre. Je crois avoir suffisamment démontré que c'est a tort que les hommes nous accusent de manquer de cette solidité de jugement qu'ils s'attribuent à eux-mêmes avec tant de confiance ; nous avons le même droit qu'eux à tous les emplois publics : la nature nous a donné un génie aussi capable de les remplir que le leur et nos cœurs sont aussi susceptibles de vertu, que nos têtes le sont d'apprendre les Sciences : nous ne manquons d'esprit, de force ni de courage pour défendre un pays, ni de prudence pour le gouverner. Nous avons en général les organes plus délicats. Veut- on comparer la structure des corps pour décider du degré d'excellence des deux Sexes ? il n'y aura plus de contestation : je pense que les hommes eux-mêmes ne feront pas difficulté de nous céder à cet égard : ils ne peuvent pas disconvenir que nous n'ayons sur eux tout l'avantage pour le Mécanisme interne de nos corps. Puisque c'est en nous que se produit la plus belle et la plus surprenante de toutes les créatures ; combien n'avons-nous pas encore de supériorité sur eux pour la forme extérieure ? Quelles beautés , quel air , quelles grâces la nature n'a-t'elle pas attachées à nos corps, et dont les leurs sont privés ? Je rougirais seulement d'en parler, si je ne pensais que c'est une raison de plus pour croire que nos âmes sont aussi plus délicates. Car je ne puis m'empêcher de penser , que le sage Auteur de la nature a proportionné nos âmes aux corps qu'il nous a donnés : assurément donc la subtilité de nos esprits et la finesse de ce qui se passe dans l'intérieur de nos têtes doivent au moins nous rendre égales aux hommes, puisque notre extérieur manque rarement à nous en rendre les maîtresses absolues. Je ne voudrais pas cependant qu'aucune personne de mon Sexe appuyât son autorité sur un fondement si fragile. Non, le bon sens doit survivre à un beau visage, et l'ascendant que la raison donne sur les cœurs est durable. C'est pourquoi j'exhorte toutes les femmes à rejeter les vains amusements , et à s'appliquer à la culture de leurs âmes, afin de se rendre capables d'agir avec toute la dignité à laquelle la nature nous a destinées ; sans chercher à nous élever et à nous faire valoir, faisons voir que nous méritons des hommes, autant de part dans leur estime, qu'ils s'en arrogent à eux-mêmes au-dessus de nous. En un mot, apprenons-leur par le peu que nous faisons sans le secours de l'éducation, ce dont nous serions capables si on nous rendait justice : forçons-les à rougir d'eux-mêmes, s'il est possible, à la vue de tous les torts qu'il ont avec nous, et faisons les convenir que la moindre des femmes mérite un meilleur procédé de leur part, que celui qu'ils ont pour la plus digne."

Provenance : Félix Levraud (XVIIIe s.), avec son ex libris manuscrit sur la page de titre.

BEL EXEMPLAIRE DE CE LIVRE RARE PRE-FÉMINISTE.

VENDU